Petites   et   Grandes   Histoires   de   ma   Vie


 

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~ Les coutumes des différentes communautés religieuses ou ethniques ~

 

      La Turquie était à l'époque de mon enfance et de mon adolescence, et reste d'ailleurs encore aujourd'hui, une véritable mosaïque de peuples, de races et de religions, qui cohabitaient sans se mêler" Chacune avait ses coutumes et ses rites. Certaines de ces coutumes me sont restées gravées dans l'esprit, car, même pour une population homogène, elles présentaient vraiment un caractère insolite.

      Je ne parlerai pas en détail de ces derviches tourneurs que tout le monde connaît, et dont la communauté existe depuis le Moyen - Age. Je n'en citerai que trois autres:

- La cérémonie du Rhachi-Suya:

      Rhachi-Suya signifie en turc: Lacroix dans l'eau. A l'époque de Noël, et aux environs du jour de l'an orthodoxe, les Grecs avaient coutume de jeter dans la Corne d'or, loin du rivage, une croix en bois que les fidèles les plus courageux rapportaient au rivage en nageant dans l'eau glacée. J'ignore exactement le symbole auquel cela correspond, mais je sais que le retour de la croix donnait lieu à une cérémonie populaire et religieuse. Je pense toutefois que ce geste des fidèles exprimait la volonté de sauvegarder la foi des chrétiens entourés par une communauté musulmane beaucoup plus importante.

- La fête des Chiites commémorant la mort de leurs premiers chefs religieux:

      Tu sais sans doute qu'à la mort du prophète Mahomet, ses disciples se partagèrent en deux camps hostiles, le premier appelé le camp des sunnites, et le deuxième celui des chiites. En plus des divergences de détail au point de vue théologique, le schisme avait pour origine une rivalité entre les descendants du prophète et les chefs politiques et militaires. Les premiers ont été suivis par les chiites, les seconds par les sunnites. Cette querelle a donné lieu à la mise à mort par les chefs sunnites de deux des descendants du prophète (Hassan et Hassein) . Les chiites célébraient l'anniversaire de la mort de ces chefs . Tous les ans, les hommes seuls se réunissaient dans un grand édifice et se mettaient par rangées de plusieurs dizaines de personnes et parcouraient cette grande salle en mettant chacun les mains sur les épaules de son voisin et en scandant les noms des deux martyrs. L'atmosphère de l'assemblée devenait de plus en plus fiévreuse, les voix de plus en plus rauques ou aiguës, et, en définitive, les fidèles se saisissaient de chaînes ou de coutelas, et se faisaient couler leur sang en se lacérant le dos. La cérémonie ne prenait fin que lorsque les fidèles tombaient épuisés et à bout de souffle. Ce débordement de fanatisme et de fureur religieuse nous paraissait d'autant plus étrange que ces chiites, Persans pour la plupart, avaient un comportement tout à fait paisible dans la vie de tous les jours. Ceux qui étaient pauvres conduisaient en général des petites caravanes formées d'une dizaine d'ânes, qui apportaient sur les chantiers des briques, du ciment, et tous les autres matériaux de construction. Ceux qui étaient plus aisés avaient en général comme métier celui de changeur. Ils exerçaient dans les rues voisines du port, se tenaient dans de petites échoppes, entièrement ouvertes du côté de la rue, assis en tailleur sur un tapis persan, et ayant devant eux une petite tablette sur laquelle les clients étrangers qui voulaient échanger leur argent venaient déposer leurs pièces de monnaie.

- Les Croates:

      Parmi les nombreuses populations qui étaient encore sous la domination des Turcs au début de ce siècle, il y avait dans les Balkans des populations d'origine slave, notamment les Serbes, les Croates, les Slovènes. Les Croates étaient plus particulièrement connus à Istamboul par leur taille imposante et leur force physique. Les Turcs les appelaient: Hvat. Ils étaient très recherchés pour remplir la fonction de gardien ou d'huissier. On les voyait donc revêtus de leurs costumes nationaux, chamarrés de broderies en fil d'or et portant à leur ceinture des armes précieusement ouvragées, faire les cent pas devant les portes d'entrée des grandes banques, des ambassades, des ministères, et de tous les grands établissements fréquentés par le public. Leur seule présence suffisait à éloigner les importuns et ceux qui auraient voulu pénétrer avec de mauvaises intentions dans les lieux ainsi gardés.