Petites   et   Grandes   Histoires   de   ma   Vie


 

14

~ Les vacances aux îles des Princes ~

 

      Comme je viens de te le dire, mes parents ne prenaient jamais de vacances. En revanche, Maman avait des sœurs dont les maris avaient des métiers moins accaparants et qui arrivaient à prendre quelques jours de vacances. Par ailleurs, étant donné qu'ils habitaient Péra, ils étaient beaucoup plus près de l'embarcadère des bateaux vers les Iles des Princes, alors que nous, pour aller au pont de Galata, il nous fallait soit prendre un caïque, soit le petit bateau qui faisait la navette tout le long de la Corne d'Or aller et retour depuis Galata jusqu'au fond de la Corne d'Or.

      Nos tantes et nos oncles invitaient quelques fois les garçons à venir passer quelques jours aux îles des Princes. Je me souviens que j'étais encore un petit garçon d'une dizaine d'années et mon frère Yves venait d'avoir douze ans. Nous étions partis ensemble chez Tante Régine. Le séjour avait été agréable, mais la chaleur, les moustiques, aux piqûres desquels je suis très sensible, la nourriture - inutile de te dire qu'à l'époque il n'y avait pas de réfrigérateur et que on avait beau faire très attention, lorsqu'il faisait très chaud, les aliments n'avaient pas toute le fraîcheur souhaitée - on fait que je me suis senti vraiment malade, avec de la température. Nous avons cru plus sage de rentrer à la maison. Mais c'était un long voyage : il nous fallait depuis les îles des Princes jusqu'au pont de Galata prendre le petit bateau puis nous rendre à notre embarcadère de Haskoï. Je t'ai déjà dit que notre bourgade comportait une petite partie au bord de la Corne d'Or horizontale, puis, aussitôt après une côte qui montait de manière assez raide, pour ne pas dire à pic. J'avais pris mon courage à deux mains depuis l'embarcadère jusqu'en bas de la côte, mais arrivé à la côte, mes forces m'ont abandonné et j'ai dit à mon frère Yves : "Je n'ai plus de force, je ne peux plus monter". "Qu'à cela ne tienne! Monte sur mon dos!" Et voilà mon pauvre frère qui gravit marche après marche et le long des escarpements de la colline pour enfin nous amener à la maison une vingtaine de minutes plus tard. Inutile de te dire qu'il était lui aussi à bout de souffle. Après avoir retrouvé les parents, quelques journées de soins et de repos ont suffi à me remettre sur pieds. Mais je n'oublierai jamais le dévouement et la force de mon frère qui, à la moindre occasion ne cherchait qu'une chose : à rendre service.