Petites   et   Grandes   Histoires   de   ma   Vie


 

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~ Les bagarres avec les petits loubards turcs ~

 

      A propos de ces retours à pied à travers les quartiers musulmans, je me rappelle que nous passions donc d'abord par le quartier tzigane, le quartier turc, et qu'ensuite nous remontions une côte occupée par un cimetière musulman, où Pierre Loti avait dit dans un de ses livres, Aziyadé que son ami y avait été enterré. Et ce n'est pas seulement aujourd'hui que les petits loubards attaquent les gens qui passent à proximité d'eux dans les endroits déserts, comme c'était le cas de ce cimetière musulman. Par conséquent plusieurs reprises dans l'année, nous étions obligés de subir des bagarres que nous ne provoquions pas, et nous étions contraints d'essayer de nous défendre. Il y avait à la sortie de ce cimetière, d'immense excavations en forme de tronc de cône renversés, sommet vers le bas, et ouverture du cône vers le haut. Ces espèces de cratères ne servaient plus à rien à l'époque de mon enfance, mais on racontait que, de nombreuses années auparavant, étant donné qu'à l'époque la fabrication de la glace était inconnue, les sultans qui voulaient toujours avoir de la glace pour pouvoir rafraîchir les boissons qu'ils absorbaient ou faisaient offrir à leurs hôtes, faisaient venir en hiver des charrettes entières, tirées naturellement par des buffles, pleines de glace qu'on déversait dans ces espèces de cratères. Une fois à peu près pleins, la glace était recouverte d'une épaisse couche de terre, de telle sorte qu'elle se conservait pendant tout l'été. Ainsi le sultan pouvait-il avoir sa provision de glace pour toute la période de la saison chaude. Bien entendu, à l'époque de mon enfance, on savait déjà fabriquer la glace, et ces espèces de cratères, restés inutilisés, étaient toujours béants à la sortie du cimetière de kassim Pacha et mon frère Albert nous racontait que, avant mon passage au lycée Faure, lorsqu'il était en but aux attaques des petits loubards turcs, il les prenait les uns après les autres par le collet, les amenait jusqu'au bord des cratères, et les balançait à l'intérieur. Après quoi, ils avaient un mal fou pour remonter et étaient guéris; ils ne revenaient plus à la charge pour nous attaquer.